Se saisir du droit comme d’un outil de transformation sociale
La Constitution argentine révisée, en 1994, reconnaît les droits économiques, sociaux et culturels (DESC). Elle offre aux citoyens un recours en protection des droits constitutionnels qui permet à chacun d’assigner en justice quiconque est responsable par son action ou par son omission de la violation de ces droits. L’Association Civile pour l’Égalité et la Justice (ACIJ), à travers le programme d’action légale communautaire qu’elle mène dans la périphérie de Buenos Aires, tend à permettre aux populations les plus vulnérables de se saisir de ce mécanisme pour exiger l’effectivité de leurs droits.
L’Association Civile pour l’Égalité et la Justice (ACIJ) a pour objectifs de favoriser l’accès des plus vulnérables aux DESC et de veiller à la légalité des politiques publiques. En collaboration avec des organisations de quartier, l’ACIJ a créé en 2004 le Centre d’Action Juridique Communautaire (CALC). Situé à Moreno, dans une banlieue défavorisée de Buenos Aires, le CALC propose une assistance juridique gratuite aux habitants du quartier qui décident de revendiquer collectivement leurs DESC. La justice est en effet difficile d’accès pour les populations vulnérables, d’autant plus qu’en Argentine, la signature d’un avocat est indispensable pour engager une action judiciaire. Or ceux-ci pratiquent des honoraires élevés et ne travaillent pas forcément sur les DESC. De plus, comment les habitants de Moreno pourraient-ils accéder aux tribunaux situés à quatre-vingts kilomètres de chez eux s’ils ne bénéficient même pas des services publics de base ?
L’approche communautaire de la revendication des droits : une méthode systématisée par le CALC
La démarche du CALC s’inscrit dans une approche communautaire de la revendication des DESC, s’éloignant ainsi de nombreuses organisations d’avocats qui présentent des recours, mais travaillent sans impliquer la population. Pour l’équipe du CALC, il s’agit au contraire de faire des habitants des sujets autonomes de droit, capables de proposer eux-mêmes une stratégie de revendication aux avocats.
Les habitants sont ainsi invités à identifier le conflit juridique en traduisant en droit les nécessités non satisfaites par l’État et à établir un diagnostic de la situation en déterminant les acteurs en cause, les acteurs en présence, les ressources et le temps dont ils disposent. S’ensuit alors l’élaboration d’une stratégie d’action puis un travail de revendication auprès des pouvoirs publics et des entreprises privées qui mettent en Å“uvre les services publics, sans systématiquement engager une action devant les tribunaux. Pour les intervenants du CALC, « judiciariser le conflit est une possibilité à n’envisager qu’en dernier recours. D’autres types d’action doivent être pris en compte ».
Ainsi, c’est en rédigeant avec les juristes du CALC un projet de loi pour la municipalité que les lycéens de Moreno sont parvenus à bénéficier de tarifs réduits dans les transports en commun. C’est souvent la somme de plusieurs types d’action qui permettent d’aboutir à des résultats. Ainsi, dans un cas d’un conflit lié au droit à la santé, les habitants du quartier de Vergel ont obtenu la construction d’une route en associant une action judiciaire, à travers un recours en protection des droits constitutionnels, à des barrages routiers et à la présentation de dossiers devant l’administration locale. La stratégie peut également consister à mettre en relation les habitants avec d’autres groupes qui se sont déjà mobilisés afin de bénéficier de leur expérience.
Mais une approche collective des conflits ne va pas sans se heurter à certaines difficultés. Une telle perspective demande du temps et des ressources. Ainsi, il s’est écoulé six ans à Vergel entre le début des revendications et la construction de la route. De plus, peu d’avocats sont engagés dans ce type de perspective de travail, préférant mener des recours de façon technique, sans impliquer la population dans leur action. Une troisième difficulté réside dans le fait que l’Argentine est un pays fédéral, dans lequel la Constitution est parfois en contradiction avec les Constitutions des provinces et les normes propres aux municipalités. Enfin, l’existence du recours en protection des droits constitutionnels, garanti par l’article 43 de la Constitution, a longtemps été mal connue de la population comme de la justice. C’est avec la crise financière de 2001 que les Argentins s’approprient réellement ce recours.
La formation au droit
Si les avancées juridiques en matière de reconnaissance et d’opposabilité des DESC sont essentielles, elles doivent s’accompagner d’un travail de formation de la population pour que celle-ci s’approprie le droit et soit capable de l’utiliser comme outil de transformation sociale.
Le CALC organise ainsi des formations à destination des habitants pour renforcer leur capacité à défendre leurs droits, mais aussi pour les juristes et les fonctionnaires peu accoutumés à cette perspective de revendication collective. L’expérience du Centre d’Action Légale Communautaire a ainsi été systématisée à travers la production d’un guide méthodologique intitulé « Proposition pour une action juridique communautaire pour la réclamation des droits collectifs », élaboré à destination des formateurs, des leaders communautaires et des juristes et travailleurs sociaux, pour les inciter à promouvoir l’approche « droit » dans leur travail communautaire.
Le travail accompli par le CALC, en alliant l’action judiciaire à l’action collective, et en proposant des formations et des méthodes de travail participatives, contribue donc à garantir une véritable effectivité des DESC.
Contacts :
Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia , Avenida de Mayo 1161 Piso 5to. Of. 9 - C1085ABB Ciudad de Buenos Aires, Argentine / info@acij.org.ar
Centro de Apoyo Legal Comunitario Padre Varvello, Daniela Lovisolo, 4800 Localidad de Paso del Rey (1742), Municipio de Moreno, Provincia de Buenos Aires, Argentine