DEME SO, une association qui œuvre pour la construction d’un état de droit
DEME SO est une association malienne créée en 1992 et investie dans le domaine de la promotion des droits de l’Homme. La mission de DEME SO est de « contribuer à l’édification d’un véritable État de droit et de démocratie dans lequel les communautés à la base en général et en particulier les couches vulnérables (femmes, jeunes, détenus, démunis, etc.) exercent une réelle citoyenneté. Son but est de promouvoir les droits humains par l’éducation et la formation à la citoyenneté, l’orientation juridique et l’assistance aux couches vulnérables ».
Les objectifs institutionnels de DEME SO sont entre autres :
Préparer les populations pour une meilleure prise en charge des affaires locales ;
Apporter une aide aux populations pour qu’elles luttent pour leurs droits et soient en mesure d’assurer leurs devoirs citoyens ;
Former à l’éducation démocratique ;
Favoriser l’éducation et l’intégration réelle de la femme et de la jeunesse pour un vrai essor social ;
Promouvoir une société civile forte, crédible et mobilisée en partenariat avec l’État et les partenaires techniques et financiers.
Développer les capacités organisationnelles et institutionnelles dans les domaines juridiques
Dans son champ d’activités, DEME SO a ciblé cinq domaines d’intervention prioritaires ou axes stratégiques qui sont :
Assistance juridique et amélioration des conditions de prévention et de détention pour permettre l’égal et équitable accès de toutes et de tous à la justice pour la défense de leurs droits ;
Formation et sensibilisation juridique ;
Promotion socio-économique des femmes et des enfants ;
Collaboration et concertation avec les acteurs ;
Développement organisationnel et renforcement institutionnel de DEME SO.
Par ailleurs, suite aux différentes évaluations produites lors d’intervention de DEME SO auprès de différentes structures, l’association tente de s’investir davantage dans la promotion des droits économiques des femmes.
Les problématiques de l’accès à la justice au Mali
En 1999, le gouvernement du Canada impulse un programme de réforme de la justice au Mali suite à un forum national sur la justice qui s’est déroulé le 29 Mars 1999.
L’association DEME SO a participé à la réflexion en réalisant le diagnostic des instances judiciaires et a constaté une grande insuffisance du personnel judiciaire (magistrat greffiers, secrétaires de greffe…) ainsi qu’un manque sérieux d’outils de travail adéquats mis à leur disposition. Les registres sont souvent égarés, les documents élaborés manuellement… De plus, la justice est détériorée, les citoyens ne lui font plus confiance : plusieurs magistrats avaient été tués ou molestés, ce qui a fini par interpeller le gouvernement qui a réfléchi aux mesures à prendre pour faire changer les choses.
Au delà de ce phénomène, persiste le problème de la corruption au sein de l’appareil judiciaire. Au Mali, la justice de paix a une compétence étendue. Il s’agit d’une juridiction où un seul juge exerce les fonctions de jugement et de poursuite. Le justiciable doit souvent parcourir des kilomètres pour s’y rendre. Cette justice, qui devrait se trouver au niveau de la base, est en fait éloignée des populations alors qu’elle a vocation à traiter des litiges de la vie quotidienne.
Lors du diagnostic, DEME SO a également constaté que les règles du droit positif malien étaient en porte-à -faux avec les règles de gestion coutumière et que les populations ne se retrouvaient pas dans le droit positif. Ce à quoi il faut ajouter le problème de l’analphabétisme : trop souvent la population ne peut comprendre le droit qui lui est pourtant destiné.
De plus, le coût de la justice est démesuré. Des frais de consignation du dossier doivent être payés sous peine d’irrecevabilité de la requête. Cela pose un problème d’accès à la justice dans la mesure où les citoyens ne disposent pas forcément de ces moyens financiers.
Tous ces éléments constituaient des entraves au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire.
Un programme pour favoriser l’appropriation du droit par les populations
Un des objectifs du programme décennal de développement de la justice (PRODEJ) est de garantir aux citoyens maliens l’accès à la justice.
La première étape de ce programme a consisté à doter les juridictions de systèmes informatiques. Cela constitue un énorme gain de temps et de travail car autrefois le greffier consultait des dossiers mal tenus, sans système de classement.
Les bureaux d’action juridique et judiciaire
Dans le cadre du PRODEJ, DEME SO a trouvé pertinent de mettre en place des bureaux d’actions juridiques et judiciaires animés par la société civile. DEME SO assure donc l’accueil, l’orientation et l’information des citoyens au sein de ces bureaux.
Pour appuyer ces actions, DEME SO a élaboré des dépliants d’information sur les procédures judiciaires et les droits des citoyens afin que le justiciable les connaissent et les comprennent mieux. Ces documents informent également sur les frais de justice car de nombreux greffiers profitaient du manque d’information des populations pour leur extorquer de l’argent. DEME SO a recours à des avocats en cas de besoin.
Une fois par semaine, le bureau d’assistance juridique et judiciaire propose une émission de radio qui a pour but d’informer la population à la base mais aussi de lui permettre de comprendre la marche même de la justice. Elle est animée en langue locale et diffusé dans tout le pays.
Pour mener à bien ses activités, le bureau d’action juridique et judiciaire a tissé un partenariat avec les autorités des juridictions et réalise des comptes-rendus hebdomadaires au président de la juridiction ainsi qu’au procureur de la République. Ceux-ci sont aussi impliqués dans les activités menées dans le cadre du programme : consultations, conférences… Un véritable partenariat s’est noué entre la société civile et l’ordre judiciaire. La collaboration avec les magistrats est excellente car ils ont compris le rôle que peut jouer la société civile au sein de la juridiction. Cette relation de confiance a pu s’instaurer grâce aux actions que DEME SO a mené lors de la mise en place du programme. Les magistrats ont été informés des objectifs et du rôle qu’y joue DEME SO. Ils restent informés tout au long des activités. Depuis, lorsqu’un dossier passe par le bureau, les autorités judiciaires redoublent d’attention.
DEME SO a su instaurer une complicité avec les avocats bien que ceux-ci aient dans un premier temps craint une concurrence déloyale car ils pensaient que le bureau intervenait dans leurs sphères de compétences. Ils ont compris que ce n’était pas le cas, car en complément des informations qu’ils ont reçu sur les activités du bureau, ce dernier fait appel à eux pour prendre en charge les dossiers qui nécessitent leur intervention. Grâce au dialogue qui s’est instauré il y a désormais une véritable collaboration et le barreau n’entrave plus les activités du bureau d’aide judiciaire et juridique.
Une pédagogie adaptée au règlement de conflits de proximité : l’intervention des para-juristes
L’une des tâches fondamentales du bureau est le règlement extra-judiciaire des conflits. Il était en effet nécessaire de désengorger les juridictions, notamment pour des conflits mineurs comme certains cas de divorce.
Une pédagogie particulière est mise en œuvre. Un vocabulaire approprié, différent de celui des tribunaux, est employé : plus accessible, compréhensible de la population (sans termes techniques). Les échanges se font dans la langue locale.
Ces règlements amiables se font grâce aux actions de para-juristes qui sont désignés par les communautés (quartiers, villages…). Elles choisissent deux personnes de confiance et de bonne moralité. Ensuite DEME SO les forme : notions de base en droit, méthodes pédagogiques, etc. Cette formation est sanctionnée par un certificat et les personnes sont alors reconnues para-juristes. Ces para-juristes sont mandatés par leur communauté, et c’est donc à ce titre qu’ils interviennent dans les règlements amiables des conflits de leur communauté ou qu’ils orientent les populations pour qu’elles puissent obtenir des informations juridiques.
Les para-juristes qui travaillent pour le bureau d’action juridique et judiciaire ont d’autres rôles en marge des tribunaux. Par exemple, au moment des élections, ils ont un rôle informatif : indiquer quels sont les dossiers à constituer pour une élection, quel est le rôle du maire, du secrétaire adjoint. L’objectif est d’inciter les personnes appartenant à leur communauté à participer au processus électoral. C’est grâce à ces activités de sensibilisation menées par les para-juristes que beaucoup de femmes ont été élues.
Il est important de préciser que la communauté a aussi des devoirs envers les para-juristes qui consacrent bénévolement du temps pour lui venir en aide. Souvent les membres de la communauté, en retour, les appuient dans leur quotidien (pour entretenir leurs champs, aider leur famille). Elle s’engage également à accepter et faire place aux para-juristes, et demande en retour des garanties. C’est pourquoi les personnes qui souhaitent devenir para-juristes doivent impérativement savoir lire et écrire et être titulaire du diplôme d’aptitudes fondamentales. Une fois ces critères vérifiés, les futurs para-juristes peuvent suivre la formation proposée par DEME SO.
DEME SO a constitué une mallette pour le para-juriste. Celle-ci contient une aide mémoire, des cassettes audio et un manuel de formation pour qu’il puisse valablement accomplir sa mission. Les para-juristes du bureau d’action juridique et judiciaire sont de plus en plus régulièrement sollicités par les radios communautaires afin d’informer la population.
Exemple d’un cas d’intervention du bureau d’action juridique et judiciaire
DEME SO rappelle souvent un des succès de médiation de deux villages voisins : Nanguila et Gueleba. Le village de Nanguila avait prêté une bande de terre à celui de Gueleba. La bande de terre prêtée étant particulièrement fertile, ce dernier commençait à prospérer. Le village de Nanguila souhaita alors récupérer son terrain. Les deux villages ne parvenant à s’entendre, le conflit a été porté devant la justice, jusqu’à la Cour Suprême qui a rendu une décision. Toutefois cette décision n’a pas été acceptée, elle est donc restée non appliquée. Pour la partie perdante en effet, la décision était injuste car elle ne s’appuyait pas sur le droit coutumier qui régit leurs règles de fonctionnement au quotidien.
Dans le droit coutumier, lorsque l’on prête un bien, celui-ci doit être restitué. Selon le droit étatique par contre, le village de Nanguila n’était plus propriétaire de son terrain. Ce dernier, refusant la solution arrêtée par les tribunaux, a réalisé plusieurs interventions policières sans que pour autant ne soit trouvée une solution.
C’est pourquoi, le bureau d’action juridique et judiciaire a proposé l’intervention d’un para-juriste qui avait des liens avec un des deux villages. Ce para-juriste est intervenu comme médiateur foncier. Il a d’abord touché des leaders d’opinion : un oncle commun aux deux communes ainsi qu’une assemblée générale villageoise. Il a réalisé avec eux un historique de la situation. Ces leaders d’opinion ont ensuite demandé aux habitants de laisser les armes et d’essayer de se comprendre en leur rappelant qu’ils constituent un même peuple. Grâce à l’intervention du bureau d’aide juridique et judiciaire, la médiation a pu régler ce qu’une décision de justice n’était pas parvenue à faire, en cherchant d’abord à garantir la paix sociale.
Contact : DEME SO, BP E 3858 Lafiabougou, Bamako, Mali / cjdemeso@afribonemali.net