Corps d’artisans, les pêcheurs se sont organisés spontanément en communauté corporative au Xéme siècle. Depuis, ces communautés de pêcheurs se sont développées sous la forme de corporations définies juridiquement, sous tutelle de l’Etat, dénommées Prud’homies. Ces dernières existent encore aujourd’hui, et constituent qu’autorité professionnelle à part entière. Les prud’homies sont un pouvoir décentralisé de gestion et d’autorité sur les communautés de pêcheurs. Chaque prud’homie représente les pêcheurs de sa zone territoriale pour défendre leurs intérêts auprès des autres prud’homies et de l’Etat. Les prud’homies opèrent une délimitation à la fois spatiale et temporelle des lieux de pêches (appelés postes de pêche) en effectuant, par réglement, un partage entre les pêcheurs et en instituant des tours de rôles. Par ses arbitrages, elles veillent autant à maintenir les conditions de renouvellement des espèces et leur migration qu’à assurer un travail à chaque pêcheur, en encourageant la polyvalence. Leurs maximes sont d’ailleurs : "Eviter qu’un métier en chasse un autre" et "Tout le monde doit pouvoir vivre de son métier". Les activités des prud’homies, allant de la gestion des espaces marins à celle du patrimoine communautaire des pêcheurs vont toutes dans le sens du partage, de la solidarité, de l’auto-discipline et du renforcement de l’esprit communautaire, autant de valeurs qui sont nées à l’époque où il s’agissait pour l’exploitation halieutique de stabiliser les pêcheurs sur leur territoire, en bordure des côtes. Leur rôle de représentation repose sur l’élection, par les pêcheurs, de membres des prud’homies à partir d’une liste de patrons pêcheurs et de pêcheurs, sélectionnés pour leur expérience dans le métier. Les membres sont renouvelés tous les trois ans. Dans l’exercice de la puissance publique, les prud’homies sont investies par l’Etat de trois types de pouvoir : juridictionnel, réglementaire et disciplinaire. En tant qu’auxilliaire de justice, le pouvoir de la prudhomie est défini par l’article 17 d’un décret de 1859 (!) comme un pouvoir exclusif et sans appel de résolution des conflits, lui permettant de juger "tous les différends entre pêcheurs survenus à l’occasion de faits de pêche". Les conflits concernent la plupart du temps le non-respect du tour de rôle, la pêche sauvage sans permis, le non respect des zones ou périodes de pêche. Les jugements sont cependant rares. En pratique, la résolution des conflits se fait davantage sous la forme de la conciliation, dans le souci de maintenir la cohésion sociale, que par un jugement en tant que tel. Sur le plan réglementaire, la prud’homie a le pouvoir de "régler entre les pêcheurs la jouissance de la mer, de déterminer les postes, tours de rôle [...] afin de prévenir, autant que possible, les rixes, dommages ou accidents". Enfin, son pouvoir disciplinaire lui permet d’infliger des amendes civiles et de constater les infractions aux règlements de l’Etat et des prud’homies. Ce pouvoir est de plus en plus difficile à assumer par la police des prud’homies en raison des représailles qu’elle craint, dans la mesure où elle n’est pas aussi couverte et protégée par la loi que la police étatique. Compte tenu de l’évolution des techniques d’exploitation et de l’internationalisation de l’économie, les territoires de pêches se sont étendus vers le large. Actuellement, le problème n’est donc plus de partager et de délimiter la mer côtière mais surtout de poser des limites à l’exploitation des ressources marines afin de ne pas empêcher le renouvellement des stocks. Ces évolutions ont aussi forcé la pêche artisanale à s’adapter et à se spécialiser, mettant à mal la recherche de la polyvalence. La gestion des grosses unités de productions s’est vue petit à petit relever des Comités locaux de pêcheurs, de syndicats et d’organisations de producteurs. Les mutations économiques, politiques et des moeurs ont eu souvent pour conséquence d’amoindrir la capacité d’action des prud’homies. La dégradation de l’unité sociale que constituait la prudhomie a nécessairement entraîné des problèmes de discipline et un amoindrissement de l’esprit communautaire et solidaire. Ces problèmes s’accentuent d’autant plus que l’Etat a favorisé le développement de ces grosses unités de production et a légiféré dans une logique inverse à celle mise en avant par les prud’homies qui favorise le partage et le travail pour tous. En soutenant l’industrialisation de la pêche, la démarche politique de l’Etat français, alignée sur celle des instances européennes, a affecté les efforts communautaires que les prud’homies menaient pour maintenir la discipline, le dialogue, le partage et la cohésion du groupe à partir de la responsabilisation des pêcheurs et du consensus social. Toutefois, depuis quelques années, on observe un mouvement inverse où l’Etat prend en compte le pouvoir des prud’homies dans la mesure où il réalise qu’il importe d’intégrer leur avis pour des questions relatives au milieu marin, compte tenu de leur ancrage sur le terrain. Ainsi, afin d’éviter les concurrences entre la réglementation des Affaires maritimes et celle des Prud’homies, un décret de 1994 des Affaires Maritimes prévoit dorénavant une consultation systématiques des prud’homies avant toute réglementation en matière maritime.