Les limites de la médiation dans les cas de violence familiale
Un jeune chercheur chilien, Rodrigo Calderón Astete, a récemment présenté une thèse sur l’usage alternatif du droit et le droit alternatif. Parallèlement, il a réfléchi aux limites de la médiation dans le cas de violence familiale. Selon lui, le Chili a entrepris de moderniser et d’améliorer l’image de la justice, en améliorant les mécanismes alternatifs d’information juridique et les modes alternatifs de résolution des conflits, la médiation notamment. Dans quel contexte juridique la médiation s’inscrit-elle ? Le système juridique chilien est essentiellement patrimonial et formaliste ; patrimonial parce que le principal droit consacré est le droit de propriété, plus que les droits liés à la personne ; formaliste parce que la loi considère égales toutes les personnes, quelles que soient les différences sociales, économiques ou culturelles. Les types de tribunaux Le tribunal classique, issu de la conception libérale positiviste, peut être qualifié de "monologual" (mono et logos = un seul sens, une vérité unique) parce qu’il est producteur unilatéral de sens. Le juge décide de l’issue d’une situation, c’est lui qui se prononce et juge. Un second type de tribunaux, dont l’émergence correspond à l’Etat-providence, peut être quant à lui qualifié de "bilogual"(bi et logos = deux sens, une vérité plurielle). Il ne s’agit pas d’un dialogue d’égal à égal entre le juge et les parties en conflit. La loi est édictée, mais avec des tempéraments dans son application ; le juge statue en conscience ou il est aidé par d’autres personnes, dans l’appréciation des faits, comme les assistants sociaux. Le mécanisme est dialectique : la thèse est le demandeur et son contexte, l’antithèse, le défenseur et son contexte à lui, la synthèse, la décision et le pouvoir du tribunal. Le type de justice La phrase consacrée, quand il s’agit de décrire la justice, est qu’il lui incombe de "donner à chacun ce qui lui revient". Les conséquences de cette phrase ne sont pas si simples, car il est nécessaire de s’interroger sur son contenu. Qui est "chacun" et qu’est-ce qui revient à ce "chacun" ? Une justice patrimoniale fait de "chacun" un sujet de droit, et ce qui lui revient est ce qu’il possède ou ce que la loi lui octroie. La situation d’une personne, dans un tel système, est irrémédiablement grave s’il ne possède rien et si la loi ne lui accorde rien. Dans ce système, il n’est pas dans le rôle du juge de vérifier si, à l’application de la loi, correspond l’application de la justice. Médiation, justice et violence La médiation n’est pas comparable à un jugement, une conciliation ni à un arbitrage. Fonctionnant comme un mode alternatif, la médiation est un processus de négociation, qui doit être élaboré avec soin, afin de remplir correctement sa finalité : trouver ensemble une solution qui englobe les parties et les incorpore à la décision. Une fois cette définition posée, il faut se rendre à l’évidence que le mécanisme de la médiation suscite plus de questions que de réponses. Une interrogation se révèle particulièrement sensible : - Est-il possible d’appliquer la médiation à des cas de violence domestique ou à des cas de violence à connotation sexuelle ? La réponse devrait être négative. Il s’agirait de réguler des situations où des personnes sont confrontées à un processus de désintégration personnelle et familiale. Différents instruments internationaux tels que les déclarations de Nairobi, Vienne et Belem de Pará garantissent un minimum éthique en matière de relation entre des personnes de sexes différents ("gender relation" en anglais et "relaciones entre los géneros" en espagnol). L’article 5 de la Constitution chilienne intègre, dans l’ordre juridique national, les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Selon R. Calderón Astete, il ne faut jamais perdre de vue que la médiation est une forme de négociation. En vertu de cela, il faudrait adopter comme principe intangible que les droitshumains ne peuvent pas être négociés. Supposons un conflit de violence familiale. Que peut négocier la victime ? Elle ne peut certainement pas négocier sa qualité de victime, son droit à ne pas être violentée, niée comme personne ou torturée. Quant à l’auteur des sévices, peut-il négocier sa propre qualité ? Il est difficilement imaginable de lui reconnaître la suprématie de sa force physique dans la résolution des différends. Un Etat ne peut ni permettre ni consacrer cela. Un tempérament pourrait être apporté quand les faits sont de gravité minime et que chacune des parties souhaite construire ensemble une solution. Mais ces cas doivent alors être résolus en-dehors des conditions formelles d’un tribunal "monologual" ou même "bilogual", pour trouver un forum dans un tribunal "trilogual", un tribunal qui non seulement sache et connaisse (savoir en théorie et connaître en pratique) mais aussi comprenne la réalité, au-delà de la loi jusqu’à s’englober en elle, prenant position en faveur de la partie la plus faible, faisant en sorte que la justice soit re-distributive pour celui qui n’a rien ou très peu. Il faut alors un juge qui ne soit plus un juge impartial ...