Les pratiques juridiques alternatives : instrument alternatif de développement ?
Les pratiques juridiques alternatives constituent-elles un instrument alternatif de développement ? Par alternatif, il faut ici entendre, grosso modo, alternatif par rapport aux pratiques et conceptions "dominantes". Il semblerait que les seules pratiques débouchant sur des situations de développement durable sont celles basées sur l’"empowerment" : à savoir la participation des populations à tous les stades des projets qui les concernent, dans un objectif de réappropriation de la maîtrise de leur destin. Or, nombre de pratiques juridiques alternatives rencontrées s’inscrivent dans cette logique, si ce n’est pas cette démarche elle-même qui les rend alternatives. Typologie et définition des pratiques juridiques alternatives - Certaines pratiques visent à favoriser l’accès au droit en vigueur, en particulier des plus démunis. Beaucoup de pratiques poursuivent comme double objectif l’information juridique et l’aide juridique et judiciaire. Mais ceci ne suffit pas : est alternative l’action qui s’inscrit dans une démarche visant à une prise de conscience : conscience d’avoir des droits, que le droit est un instrument accessible à tous, qu’il peut être démystifié ; conscience, à partir d’une réflexion critique sur le droit positif, des imperfections de ce droit et de la nécessité de le faire évoluer. - D’autres pratiques (parfois les mêmes) encouragent la participation au droit. Il ne s’agit plus seulement d’avoir des droits, mais d’être acteur de droit, voire producteur de droits. Face à l’inadaptation des règles étatiques, certains groupes recourent à des pratiques juridiques alternatives au sens restreint du terme : pratiques vivant en dehors du système étatique, comme la mise en place de mécanismes non étatiques de règlement des conflits, le recours à des règles produites par la communauté et reconnues par elle seule, voire, dans certains cas, la mise en oeuvre de sanctions communautaires. Ici, le caractère alternatif est lié à la création et à l’application de normes en dehors de L’Etat. D’autres pratiques s’inscrivent quant à elles à l’intérieur du système étatique, mais en vue de faire évoluer le droit positif : recours devant les tribunaux de l’Etat pour faire reconnaître des droits particuliers, ou pressions exercées sur ceux qui élaborent les règles positives. Il peut sembler paradoxal de parler d’alternatif au sujet de pratiques tendant à faire appliquer le droit officiel existant. Cependant, tout n’est pas à rejeter en bloc dans le droit existant. Ces démarches demeurent alternatives en ce qu’elles défendent d’autres valeurs et cherchent à faire appliquer le droit en dehors, voire en rupture avec la logique dominante du système. Les pratiques juridiques alternatives comme facteur de changements sociaux Il serait intéressant d’étudier les pratiques juridiques alternatives en tant que mouvements sociaux s’exprimant dans le domaine juridique, de rechercher quelle pourrait être leur portée en termes de changement social. Dans ce cadre, il apparaît que les pratiques ont une incidence certaine sur la manière dont les plus démunis se situent par rapport à leur position et à la société. Cette prise de conscience doublée de mouvements d’organisation des populations peut-elle aboutir à des changements sociaux ? On peut supposer (dans un objectif de vérification) que les pratiques alternatives ont des incidences sur les mentalités en ce qu’elles permettent une plus grande autonomie, favorisent les sentiments d’appartenance (par la participation à des mouvements sociaux dont la base est un groupe), créent des liens de solidarité, constituent un moyen de restructuration sociale (par la socialisation due au renforcement du groupe et par des actions comme le règlement des conflits). La mise en évidence de ces différents éléments suppose une étude sur la genèse de ces pratiques et sur les dynamiques auxquelles ils obéissent. Notre droit occidental questionné par ces pratiques ? L’alternativité se définit par opposition au système juridique et normatif officiel. Ce décalage nous amène à nous interroger sur notre propre droit, à partir des différentes approches du droit qui existent. Les premières questions se posent en terme de définition du droit. Selon les approches étatiques, qui retiennent une définition en termes de sources du droit, les pratiques juridiques alternatives n’appartiennent pas toujours au domaine du droit. Par contre, la définition anthropologique les intègre au "phénomène juridique" qui englobe toute règle de relation entre les individus. Cette opposition va nous amener à nous interroger, dans un premier temps, sur la notion de pluralisme juridique. Celui-ci désigne un système reconnaissant plusieurs ordres juridiques, c’est-à -dire plusieurs cadres de production et d’application de plusieurs corps de règles se reconnaissant les uns les autres. Notamment, le pluralisme juridique ne permettrait-il pas d’assurer une plus grande participation des populations à l’élaboration du droit ? Dans un second temps, les pratiques juridiques alternatives engagent une réflexion sur la nature et la fonction du droit positif, produit par l’Etat. Si le droit est généralement présenté comme neutralité positive, les praticiens alternatifs donnent, quant à eux, un contenu éminemment politique au droit, le droit faisant partie de l’action politique.