L’accès à la justice se traduit par la possibilité réelle qu’ont les individus de bénéficier concrètement des avantages tirés de la loi et des institutions judiciaires, des tribunaux en particulier. Le bénéfice de ces avantages renvoie fondamentalement à la question de l’effectivité des droits sociaux et, à travers eux, à l’égalité devant la loi et les droits. A l’origine, l’accès à la justice se concevait comme un aspect fondamental de l’Etat Providence, compte-tenu de son obligation de supprimer tout obstacle à cet accès et de permettre une égalité effective devant la loi, en particulier pour les plus démunis. Les mesures prises par l’Etat Providence pour atteindre cet objectif ont été : - la promotion des services juridiques populaires ; - la protection des intérêts individuels (diffus et fragmentés) à travers la conduite d’actions populaires ; - la simplification de la procédure et du droit procédural, par exemple dans le cas d’affaires mineures, et la promotion de la résolution alternative des conflits, basée sur l’équité et plus proche des changements de la société moderne. Le bilan de certaines de ces mesures a mis les points suivants en évidence : -la médiation ou la conciliation compromettent-elles le respect des droits ? -le recours à la médiation porte-t-il atteinte à l’autorité du juge normalement compétent ? -l’équité empêcherait-elle l’application légale de la justice ? En Amérique latine, il semble que l’accès réel à la justice ait été le fruit du travail de la société civile. Depuis la décennie 80, les services juridiques non gouvernementaux ont favorisé l’assistance légale non caritative et, dans certains cas, la solution extrajudiciaire des conflits. La réalité de certains pays latino-américains, a été que la réalisation partielle de droits sociaux fut le produit d’une lutte politique contre le pouvoir exécutif, avant d’être le fait d’un processus juridique ou judiciaire. En Amérique latine, l’action juridique a eu une dimension politique, nécessaire pour faire pression sur l’exécutif, de manière à garantir l’effectivité de certains droits fondamentaux. Aujourd’hui, le thème de l’accès à la justice est d’actualité, principalement dans la réforme institutionnelle des systèmes juridiques des Etats. Un grand nombre de réformes de la justice, menées par les gouvernements latino-américains, avaient pour objet de garantir cet accès. Les mesures de "déjudiciarisation" et de recours à des modes de résolution alternative des conflits, ont été les principales conséquences pratiques de l’intérêt des gouvernements pour ce problème. Cette préoccupation officielle a montré la capacité de l’Etat à adopter virtuellement des pratiques sociales anciennes, développées par les organisations non gouvernementales auprès de diverses communautés. On dit aujourd’hui que l’Etat s’est approprié le langage, les méthodes et les objectifs des services juridiques populaires. En réalité, les Etats latino-américains n’ont pratiquement rien fait pour garantir les droits sociaux de leurs populations. Ainsi, les réformes constitutionnelles mises en place par un grand nombre de régimes politiques de la région n’ont inclu, que de façon vague et prolixe les droits économiques et sociaux, dans un contexte de compression obligatoire des dépenses publiques, de privatisation des services nationaux, de flexibilité de la législation du travail ... La consécration des droits sociaux a eu pour double conséquence, l’apaisement des tensions et l’encombrement du système judiciaire et cela, sans permettre aux populations concernées de jouir réellement de leurs droits. Dans ce contexte, comment appréhender la contradiction entre la prétendue préoccupation de l’Etat pour l’accès à la justice et son manque réel d’intérêt pour une effectivité des droits sociaux, moteur de cet accès ? L’accès à la justice, aujourd’hui annoncé, renvoie davantage à la promotion d’espaces extrajudiciaires ou informels de résolution des conflits. Curieusement et paradoxalement, ce mouvement devrait satisfaire les Etats qui cherchent à diminuer les charges inefficaces et coûteuses du pouvoir judiciaire. Ces espaces promouvant l’accès à la justice créent une justice "alternative" qui, en plus d’intégrer les populations pauvres, permet à l’Etat de ne pas intervenir directement, de dépenser moins, de se consacrer pleinement aux autres litiges qu’il considère comme plus importants grâce à l’appareil pénal, garantissant l’ordre et la sécurité ! Or, le droit d’accès à la justice devrait garantir : - l’information et la parfaite connaissance du droit (tant son contenu que sa forme) en vue d’une recherche permanente d’accord entre l’ordre juridique et la réalité sociale ; - des juges au coeur de la réalité sociale et économique du pays, engagés dans un ordre juridique juste ; - la promotion des institutions juridictionnelles qui favorisent un véritable exercice des droits ; - la suppression des obstacles qui entravent l’accès effectif à la justice.