Essor de la médiation pénale : avantages et inconvénients




Pourquoi la médiation judiciaire connaît-elle aujourd’hui beaucoup de succès ? Telle est la question que développe Jacques Faget, juriste et sociologue, chercheur au CNRS, dans un récent ouvrage, "la médiation - essai de politique pénale". Parler de médiation judiciaire, et, a fortiori, de médiation en matière pénale, peut paraître surprenant. Plusieurs raisons déterminent cependant cet essor : la contestation des institutions répressives ; la "découverte" des victimes qui perdaient, devant les instances traditionnelles, leur pouvoir d’accusation au profit du ministère public [corps de magistrats qui ne jugent pas, établis près des tribunaux, avec la mission de défendre les intérêts de la société, de veiller à l’exécution des lois et des décisions judiciaires ] ; la plus grande faveur accordée à la communauté ; l’augmentation de la demande sociale de droit¤ ; la surcharge des tribunaux et l’explosion des classements sans suite... De nombreux projets, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, d’abord limités à la délinquance juvénile puis étendus à la délinquance adulte, ont été mis en oeuvre ou sont en voie d’élaboration. On parle, en France, de maisons de justice et de justice de proximité ; aux Etats-Unis, de Community Boards. Au regard d’une telle liste, la médiation pénale semble arranger toute le monde ! Et c’est pourquoi elle ne tarde pas à être institutionnalisée, comme c’est le cas en France depuis janvier 1993. Mais l’institutionnalisation de la médiation en matière pénale présente certains dangers : de devenir la petite soeur obéissante de l’idéologie judiciaire, d’être envahie par les logiques marchandes, de voir ses pratiques se bureaucratiser inexorablement. Cependant, comment ne pas voir en la médiation pénale plus qu’une simple récupération ? La médiation s’inscrit dans une logique où le pouvoir de l’Etat ne provient plus d’une source unique mais se démultiplie. Dans ce cadre, la médiation, même institutionnelle, peut et doit conquérir son autonomie : la fonction symbolique de justice reste l’apanage de l’Etat, mais la fonction instrumentale est assurée par une constellation d’acteurs et de structures qui donnent à la justice un nouveau sens pratique. Pour cela, les médiations doivent soutenir un autre discours, éviter toute forme de dépendance, résister aux pressions temporelles des logiques bureaucratiques, développer une éthique qui maintienne les conditions d’existence d’un conflit de logiques et non de collusion d’intérêts. Il est nécessaire : - de louvoyer entre l’existence ou l’absence d’une hiérarchie communautaire, en privilégiant l’absence de hiérarchie, -de bien choisir le registre de communication. Le registre idéal de communication est simple¤ : à la médiation bureaucratisée, ou qui imite des modèles juridiques imposés, il faut privilégier l’attention aux personnes, respecter leur temporalité propre et les responsabiliser. Elément plus particulier, il ne faut peut-être pas hésiter à exercer une contrainte au départ, en acceptant le principe d’une injonction de médiation, seulement si cette contrainte ne dépasse pas le stade de l’envoi en médiation. Car il s’agit de donner à une relation une chance de se construire malgré les préventions, les angoisses, les malentendus qui en empêchent l’amorce. La médiation pénale tend vers l’ordre et le désordre. Vers l’ordre, car elle constitue un lieu d’énonciation des fondements de la règle sociale, plus qu’un espace répressif et elle s’intègre dans une stratégie où l’Etat est aussi bien prestataire de services que prestataire d’autorité, jouant de façon pragmatique sur ces deux registres. Selon Jacques Faget, "Elle serait la marque de la présence d’un Etat structurant qui compense par sa présence et sa grande visibilité les attentes de protection qu’il ne veut plus satisfaire par les moyens traditionnels". Vers le désordre, car en instituant la médiation pénale, l’Etat renvoie à leurs conflits la foule solitaire des justiciables potentiels, prônant l’autonomie et le consensualisme libéraux. Pour une justice restaurative Face à l’essor de la médiation pénale, l’Etat tend à développer une autonomie assistée qui réduit la portée du projet démocratique de la médiation. Mais la médiation ne peut être un simple mot de passe, un simple prétexte langagier qui donne corps à l’imaginaire démocratique. Pour faire de la médiation pénale un véritable projet novateur, il ne faut pas privilégier l’idée que tout conflit est soluble, mais que chaque personne est actrice de son destin. Une société d’individus n’est pas la juxtaposition de solitudes, mais la mise en relation de responsabilités solidaires, de manière à privilégier une justice restaurative, c’est-à-dire une justice qui serve trois intérêts - ceux de la communauté, ceux de la victime et ceux du délinquant - et où la réparation du mal soit assurée par l’obligation de faire du bien. Les fondements d’une justice restaurative, dont l’institutionnalisation de la médiation annonce peut-être l’avènement, peuvent être synthétisés de la manière suivante : 1. Le crime est conçu comme une offense contre les personnes et non contre l’Etat. 2. La justice cherche à identifier les besoins et les obligations des personnes en conflit, au lieu d’être focalisée sur la culpabilité de l’auteur. 3. La souffrance de la victime est reconnue. 4. Le contexte social, économique et moral du comportement est pris en considération dans son entier. 5. L’accent est porté sur le futur et non sur le passé. 6. Le dialogue et l’entente mutuelle sont encouragés, par la recherche des points communs et la coopération. 7. Les relations entre victime et offenseur sont primordiales. 8. Victimes et offenseurs ont une responsabilité dans la résolution du problème. 9. La responsabilité porte sur le comportement après la transgression et non sur le moment de la transgression. 10. On assure l’intégration de l’offenseur dans sa communauté. 11. Le mal fait par l’offenseur est équilibré par le bien qu’il fait en contrepartie. 12. On ne prononce pas une sentence, on rend possible la réalisation d’un accord.


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Mots-clés Conflit - Droit - Etat - Ethique - Justice - Justice restaurative - Maison de justice - Médiation - Médiation juridique - Mode de règlement de litiges - Pouvoir - Pouvoir judiciaire - Société -

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