Jesús Antonio de la Torre Rangel, avocat populaire, exerce dans la ville de Aguascalientes (Mexique). Il est l’auteur d’un ouvrage sur Les conflits et l’usage du droit (Conflictos y uso del derecho). Il présente ses réflexions sur le droit, suite à son investissement professionnel dans les conflits sociaux et politiques qui surgirent entre 1977 et 1988 à Aguascalientes. Selon lui, non seulement le droit est un phénomène complexe qui ne se résume pas aux simples lois, mais le terme droit en soi comporte plusieurs acceptions : droit objectif légal, droit subjectif des individus, justice (conservatrice, officielle ou de revendication) et science juridique. Il va sans dire que l’usage du droit est complexe tant pour celui qui l’utilise que quant à la manière de l’utiliser. Ainsi l’Etat use du droit en tant que lois, les appliquant ou les violant ; les institutions utilisent les lois ou réclament des droits subjectifs ; les groupes sociaux utilisent le droit du point de vue de leurs droits subjectifs, reconnus ou niés par les lois ; et chacun se fait une idée de la justice selon sa position sociale. L’usage alternatif du droit Dans ce contexte, quelle est la place pour un usage alternatif du droit ? L’usage alternatif du droit, pour les avocats progressistes, consiste à donner à des lois "neutres" un sens favorable à la cause qu’ils défendent. Au droit est conféré un sens plus politique, sans que cela lui enlève en rien son caractère juridique. Il change du sens qui lui avait été assigné par le contexte social où il fut produit. Pour cela, les avocats doivent mener une "quête" juridique dans l’ordre juridique en vigueur, de manière à débusquer les normes et les institutions juridiques utiles aux causes qu’ils défendent. Le pouvoir judiciaire se voit également conférer une fonction plus ample. Le juge ne se limite pas à "être la bouche de la loi" mais prend des décisions contre la loi quand la loi est injuste, car sa vision du droit ne se limite pas à une seule source (la loi) ni à une définition unique (celle du droit objectif). Ce dernier point est loin d’être évident lorsqu’on sait que, par tradition, le juge a pour unique tâche d’appliquer la loi, dans le culte du texte même de la loi, en l’interprétant de manière à révéler l’intention du législateur, et surtout sans rien ajouter, car il y a une présomption selon laquelle la loi a réponse à tout. Pour dépasser ce rôle purement instrumental, il faut admettre que l’appareil judiciaire est un "champ de bataille", comme toutes les autres institutions, où l’on transforme une société vers plus de démocratie. Il faut considérer d’autres sources que la loi, telles que la coutume, les principes généraux de droit, la jurisprudence, les pactes internationaux. Changer la manière de penser le droit Changer la manière de penser le droit : avant de savoir ce que dit la loi, il importe de savoir d’abord quelle est la solution juste pour le cas concret et chercher ensuite le fondement légal qui justifiera cette solution. Ni l’avocat ni le juge ne doivent hésiter, le cas échéant, à défendre le cas contre la loi, à prendre une décision contre la loi. Il est important de noter que l’utilisation du droit contre la logique de la formation sociale où il est produit, aiguise les contradictions sociales. Prendre conscience du bon usage du droit Le droit s’enracine dans l’être humain, dans ses droits subjectifs, dans les droits humains et les relations entre ces droits, qui constituent l’essence de la justice. Il est aisé de constater que la négation des droits de la majorité est structurelle et que règne la "légalité de l’injustice". Un usage alternatif du droit permet d’appliquer les droits humains et la justice réelle entre les hommes. Dans cette optique, il faut toujours s’attacher à comprendre à quoi sert le droit objectif et son usage quotidien.