Droit alternatif et usage alternatif de droit sont nés, en Amérique latine, dans le contexte des différentes dictatures qui émaillèrent, jusqu’à récemment, l’histoire de ce continent. Les droits fondamentaux des personnes, et spécialement des personnes issues des couches populaires, devaient être protégés, revendiqués, promus. L’esprit qui animait ce mouvement était clairement celui de libération, de lutte des classes et de transgression. Si la situation politique a en apparence changé depuis quelques années en Amérique latine, demeure l’exclusion des couches populaires, dans un contexte de concentration de la richesse et de traditionalisme culturel. C’est tout l’enjeu actuel des différents services juridiques populaires de ces pays, de parvenir à dépasser de nouveaux schémas d’exclusion et de proposer autre chose, sur la base de leurs différentes expériences acquises les décennies précédentes. Les apports des services juridiques populaires Durant la période dictatoriale, les services juridiques populaires ont proposé différents contenus, capables d’apporter des transgressions aux idées reçues et à la régulation autoritaire des régimes en place, notamment : - la suprématie des droits réels sur les droits formellement reconnus par les ordres juridiques en place, - la préférence de la légitimité à la légalité, - la démystification de la légalité et de ses idéologies, - la reconnaissance et la revendication du pluralisme juridique, - la participation de la communauté à la prise de décision, - un développement centré sur les personnes, - la création d’alternatives juridiques. Ces différents éléments deviennent en quelque sorte les briques qui établissent une relation entre la sphère juridique et la société civile, où la construction des droits individuels et collectifs s’élabore à partir de la satisfaction des nécessités concrètes des membres de la communauté. Surtout, ces différents éléments doivent permettre de relever quatre défis contemporains au processus de démocratisation. Les défis soumis à la société civile et au droit Défi stratégique : réguler la vie quotidienne Les communautés populaires doivent être à même de développer leurs propres espaces où les groupes et les individus régulent, ordonnent et décident eux-mêmes à propos de leur vie quotidienne. Par exemple, que ceux qui sont privés de logements obtiennent leur espace de vie, par l’occupation de terrains ou d’immeubles laissés vacants, au lieu de faire appel à une bureaucratie inefficace. Défi tactique : lutter contre la saturation de l’ordre juridique étatique L’odre étatique possède au moins formellement de nombreuses potentialités dont les individus et les communautés peuvent tirer avantage. Au sein même de l’ordre juridique officiel, s’ouvrent des espaces en faveur des exclus, dans l’interprétation plus favorable d’une loi, dans l’emploi de tous les mécanismes susceptibles de promouvoir les personnes défavorisées. Défi social : s’approprier les nouvelles technologies Les couches sociales ne doivent pas seulement accéder aux nouvelles technologies, afin d’éviter l’isolement, mais elles doivent également voir validées les technologies alternatives et leur diffusion, de manière à permettre de construire des niveaux de coopération entre elles. Défi théorique : fonder une théorie non-mercantile du droit ? Concilier les intérêts particuliers et les intérêts communautaires et sociaux n’est pas évident. Dans ce contexte, le droit doit satisfaire des nécessités qui appartiennent à d’autres sphères que la sphère économique, comme la sphère sociale. Aussi s’agit-il de dépasser les individualismes -mais non les individus-, dans un respect du sentiment social et de la diversité.