Qu’en a-t-il été hier et qu’en est-il aujourd’hui ?
N. Rouland, S. Pierré-Caps et J. Poumarède ont dernièrement publié un ouvrage en commun, intitulé Droit des minorités et des peuples autochtones. Selon ces trois auteurs, l’actualité montre qu’il existe un droit naissant des autochtones et un droit profondément transformé des minorités. Néanmoins, l’histoire indique combien la reconnaissance et le respect des droits de l’Autre ont toujours oscillé entre annihilation et tolérance, et que l’effectivité des règles de droit édictées dépend intimement des circonstances de fait. Jacques Poumarède, dans sa partie consacrée à l’Approche historique du droit des minorités et des peuples autochtones, relève trois tendances contemporaines qui se superposent à ce phénomène ancien : a) L’émergence des monothéismes transforme pour la première fois la religion en un marqueur d’identité ; b) La création des Etats modernes entraîne généralement une assimilation des minorités au sein des "frontières naturelles" nouvellement établies ; c) Les entreprises coloniales, si elles ne massacrent pas les peuples qu’elles rencontrent, les mettent sous tutelle. La consécration de l’Etat nation placera le principe de nationalité sur les fonds baptismaux et permettra au droit international d’appréhender les minorités. Ce dernier ne reconnaît pas de droit aux minorités elles-mêmes, mais aux personnes appartenant à une minorité, dans le cadre plus général des droits de l’homme. La crainte est en effet trop grande de voir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, un droit restreint à la décolonisation et circonscrit par le principe de l’Uti possedetis (c’est-à -dire le principe du maintien des frontières établies par la puissance coloniale), devenir un droit des minorités à la sécession. Un droit européen s’établit cependant, non exempt d’ambiguïtés, comme le refus de définir la notion de minorité nationale et de situer les minorités dans leur dimension collective. Le succès des conventions bilatérales entre les pays d’Europe centrale, pour régler entre eux la question des minorités présentes sur leur territoire, indique que la voie réside peut-être plus dans une approche au cas par cas. Une reconnaissance constitutionnelle des minorités a le mérite de respecter le libre arbitre des Etats et d’indiquer le "vouloir-vivre ensemble national", selon la formule utilisée par Stéphane Pierré-Caps. Cette reconnaissance revêt les formes les plus diverses, car il ne peut exister de perception juridique objective du phénomène minoritaire, celui-ci pénétrant dans la sphère du droit non comme un donné mais un construit. Les formes de reconnaissance des minorités varient, de la reconnaissance expresse internationale ou interne à l’absence de reconnaissance - comme en France pour la Corse et les DOM-TOM (Départements et Territoires d’Outre-Mer), ce qui n’empêche pas de garantir les droits et libertés des citoyens, la notion d’égalité accomplissant ici une fonction positive. Pour Norbert Rouland, l’histoire des peuples autochtones, des "groupes humains en voie de disparition", est le plus souvent tragique. Leur actualité est préoccupante, même si une évolution favorable se dessine depuis une vingtaine d’années. Liés aux découvertes et à la colonisation occidentale, les "sauvages" subirent génocides et ethnocides. En ce sens, la naissance du droit international fut tributaire de la tentative de préhension intellectuelle des peuples Hors-chrétienté. Les théories classiques favorables à leur égard, les actes juridiques conclus avec eux allaient de pair avec leur aliénation. Aujourd’hui, les peuples autochtones revalorisent les doctrines des fondateurs du droit international moderne, les traités anciens, et même le système des réserves : de mouroirs, elles sont le plus souvent devenues des sanctuaires contre l’acculturation. Depuis récemment, un progrès normatif va dans le sens d’une meilleure protection. L’un des intérêts de cette évolution, comme le note Norbert Rouland, est que "la reconnaissance d’une pluralité des systèmes juridiques va de pair avec une histoire non européocentrique du droit des gens". L’anthropologie juridique permettrait de relativiser les prétentions des Etats au monopole de la production du droit. En ce sens, les coutumes et les traditions des peuples autochtones - ces modes coutumiers de production du droit, selon la formule de l’auteur - peuvent être vus comme d’authentiques systèmes juridiques et la légitimité de leur protection en est augmentée d’autant. Comme pour les minorités, les peuples autochtones se trouvent confrontés au problème de leur qualification, de la pluralité de sens qui président aux termes et aux définitions qui les concernent. La résolution irait dans le sens d’une autodéfinition où le critère subjectif primerait, chacun se voyant reconnaître le droit d’appartenir ou non à la communauté de son choix. La difficulté de qualifier montre qu’ici aussi les Etats craignent que la reconnaissance à l’autodétermination équivale à la reconnaissance d’un droit à la sécession, ce que les ONG représentatives des peuples autochtones se gardent bien d’avancer. Par ailleurs, Norbert Rouland pose la question de savoir si revendiquer ses droits devant les différentes instances internationales ou les organes internes des Etats ne revient pas pour les peuples autochtones à s’acculturer.