De nos jours, la médiation prend de plus en plus d’importance. Ce mode alternatif de résolution des conflits s’est développé dans tous les domaines de la vie sociale, surtout dans les pays anglo-saxons et plus récem-ment en France. Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau mais plutôt d’une redé-couverte inscrite dans une crise profonde des systèmes judiciaires en particulier et de régu-lation sociale en général. On entend par médiation "le processus le plus souvent formel par lequel un tiers neutre tente, à travers l’organisation d’échanges entre les parties, de permettre à celles-ci de confronter leurs points de vue et de recher-cher avec son aide une solution au conflit qui les oppose". En France, un manque d’analyse et d’évalua-tion des expériences de médiation se fait sentir. Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, à la fois chercheur et praticien, présente non seule-ment le résultat de ses recherches mais aussi les observations faites dans le cadre des boutiques de droit de Lyon et des Minguet-tes à Vénissieux, et se demande si ces expériences seraient constitutives d’un mou-vement social, porteuses d’une idéologie. Un état des lieux enrichi par l’apport comparatif des expériences anglo-saxonnes montre la complexité du mouvement et la très grande diversité des pratiques, expli-quées comme une forme de réponse à la crise de notre système de régulation sociale. Crise qui ne pourra nullement être résolue par l’accroissement du nombre de magistrats, de policiers et de travailleurs sociaux. Ainsi sont présentées : la médiation dans les rela-tions de travail, "une justice évitée" ; dans le secteur public, le passage "de l’imposé au négocié" ; dans le domaine de la consom-mation, "une justice dérivée" ; la médiation judiciaire et la "conciliation/réparation" com-me "justice déléguée" ; la médiation familiale et finalement, la médiation communautaire ou sociale, point clé de la réflexion de l’auteur, le cas paradigmatique étant les boutiques de droit en France. Des médiations : ainsi, les modèles "professionnels" et les modèles "communau-taires". La grande majorité des expériences émane d’une politique volontariste de l’Etat, à côté de quelques initiatives autonomes, vraiment innovantes, issues de la société civile. Ces dernières se proposent d’associer les parties à la résolution de leur litige, promouvant le passage d’une "justice délé-guée" à une "justice à soi". Ce nouveau modèle de régulation met en évidence un changement qualitatif de paradigme en matière de résolution des conflits, avec la substitution d’un mode "conflictuel" par un mode "consensuel" : sortir de la culture du gagnant/perdant vers un système ternaire. Pour l’auteur, le modèle conflictuel serait héritier de la société libérale, reposant sur la compétition et l’opposition d’intérêts. Mais après les politiques sociales de l’Etat-providence, ce modèle ne correspondrait plus à l’évolution de nos sociétés. Jean-Pierre Bonafé-Schmitt n’omet pas les critiques et les interrogations sur ces questions fondamentales. Le modèle consen-suel, appelé par d’autres théoriciens "l’idéolo-gie de l’harmonie", est fortement critiqué par des auteurs américains. D’après eux, cette idéologie nie le conflit, non pas pour en prévenir les causes mais leur expression. Elle transforme le conflit en problèmes de com-munication, de relation ou d’affectivité. Dans ce modèle où chacun partagerait les mêmes objectifs et valeurs, on favorise la pacification des populations à travers l’extension du contrôle social. La médiation ne servirait-elle pas à dévelop-per le contrôle social, poursuivant la norma-lisation des comportements et la pacification sociale ? Ainsi, un effet contraire à l’objectif voulu : de faible enracinement, l’implantation des structures de médiation dans les quartiers pourrait risquer de déstructurer les modes de régulation informels préexistants, voire contribuer à accélérer la dégradation du tissu social. Cela nous amène à nous interroger sur le problème de la "neutralité" des valeurs véhiculées par les médiateurs, souvent celles de la culture dominante, et sur l’impartialité de ceux-ci.