Tout en manifestant sa sympathie avec les objectifs que disent poursuivre les justices alternatives, l’auteur s’interroge. Elles sont porteuses de l’espérance d’un droit plus humain, celui dont cherchent à se doter les sociétés post-industrielles. De même que le consensualisme politique peut engendrer une société duale, ces pratiques peuvent conduire à une justice à deux vitesses. Aux Etats-Unis, qui disposent en la matière d’une expérience plus longue qu’en France, des voix s’élèvent pour mettre en doute la justification la plus couramment admise de la justice informelle : son caractère démocrati-que. Le spécialiste de ces questions, R. L. Abel, l’accuse d’augmenter le contrôle étati-que, en le dissimulant sous les masques de la non coercition et de l’absence de formalisme. Et il est vrai qu’elle concerne surtout les groupes dominés, les classes moyennes et supérieures se réservant la haute justice étatique avec ses coûts, ses garanties. Loin d’être bénigne, la justice informelle utiliserait des moyens plus souples de domination sur les faibles ; elle servirait non pas à restaurer des relations communautai-res, mais au contraire à les détruire en raison de son inspiration individualiste. Conçue pour court-circuiter la bureaucratie judiciaire de la justice formelle, elle ne ferait qu’y substituer une nouvelle corporation de professionnels de la justice informelle, le conciliateur, le médiateur bénévole. Cependant, ajoute N. Rouland, s’il est vrai que les justices alternatives, comme le système vindicatoire ou le droit étatique, comportent des risques de dérapage, on ne peut pas les réduire à une technique douce de domination, à la dernière trouvaille des classes dirigeantes. L’ordre négocié, en effet, est un instrument qu’on peut utiliser de différentes manières, et on ne voit pas pourquoi le système capitaliste ne serait pas tenté de s’en servir occasionnellement, ce qu’ont également fait les régimes du socialisme réel. Cependant, il existe aussi de nombreuses situations dans lesquelles l’ordre négocié n’est au service d’aucune classe dirigeante de l’Etat, qu’elle soit socialiste ou capitaliste : règlement des conflits familiaux et de ceux de beaucoup de groupes. Mais d’autres réticences s’expriment. Justice informelle ? C’est bien là le mal, se disent les experts, confondant probablement le forma-lisme et les exigences de formes. Le premier est stérile, les secondes constituent des garanties pour les plaideurs. De plus, les rites constituent une conduite symbolique. L’absence de formes et de rites peut donc favoriser une perte de sens, de graves malen-tendus, dans la mesure où on assiste à une annihilation des formes plus qu’à leur rempla-cement. L’insécurité s’accroît lorsqu’on passe à des procédures où tout juge est absent. Faut-il pour autant renoncer à toutes les espérances nées des justices alternatives, s’en remettre totalement à l’Etat, retourner au droit froid et aux lois de glace ? N. Rouland ne le pense pas, un tel revirement serait im-possible, car les mentalités ont évolué. "...Nous ne sommes qu’au début d’un long chemin qui n’est pas sans périls. Mieux vaut tenter de les entrevoir que de s’aveugler. Le droit de la post-modernité est encore largement à inventer. Mais les sociétés traditionnelles, loin d’être archaïques, ne nous montrent-elles pas la voie ? Nous avons souvent constaté des similitudes entre leur droit et celui qu’enfantent nos sociétés post-industrielles. Jusqu’où pousser le parallèle ?"