Les politiques de transferts de droits pour entraîner la croissance économique et le développement social des pays technologi-quement les moins avancés sont liées à la foi des grandes puissances dans la supériorité de nature ou dans l’avance chronologique de leurs droits. Il faut savoir que ce que les occidentaux appellent "droit" chez eux et dans les pays technologiquement moins développés, ne recouvre pas la même réalité. Ce qu’ils appellent leur droit, c’est avant tout leur discours juridique : les manuels de droit français, par exemple, développent générale-ment, sans le reconnaître, des récits de caractère mythique sur l’unité du droit, sa rationalité, la hiérarchie des normes, des actes et des acteurs, le pouvoir, la volonté nationale ou populaire, l’égalité des personnes, l’intérêt général, le service public, l’accord de volontés créatrices de loi, etc..., qui occultent presque toujours une pratique juridique dont l’étude leur paraît peu digne de la science juridique, sauf à être abandon-née aux sociologues du droit. A l’inverse, ce que les juristes occidentaux appellent droit dans les pays technologiquement moins avancés concerne plutôt les pratiques juridi-ques (matrimoniales, foncières, du pouvoir), répertoriées, nommées et analysées par les ethnologues et le plus souvent en fonction de l’activité économique, sans tenir compte des discours qui les accompagnent. Ces prati-ques sont considérées, en raison des mythes qui les nourrissent, comme plus justiciables de l’analyse des mythologues que de celle des juristes. Cette double mutilation du phénomène juridique entraîne l’illusion d’une opposition de nos droits et des autres droits, et d’une supériorité des premiers sur les seconds. Il n’y a pas d’opposition de nature entre les droits européens et les droits traditionnels d’autres continents. Ceux qui ont opposé "mentalité logique" et "mentalité pré-logi-que", "droit" et "pré-droit", sociétés chaudes et sociétés froides, ont été victimes d’une illusion d’optique : comparant les droits de l’Occident aux droits traditionnels d’autres pays alors qu’ils identifiaient les premiers aux discours juridiques occidentaux et les seconds aux pratiques juridiques tradition-nelles, ils ont cru voir une opposition géographique et, dans la mythologie darwi-niste de l’Occident, chronologique là où il n’y a qu’une banale opposition entre discours et pratiques. Cette illusion leur a fait conclure à la supériorité des droits occidentaux, plus rationnels : destiné à obtenir un consensus, tout discours juridique est en effet plus rationnel que les pratiques qu’il vise à légiti-mer. Mais en fait, les discours des droits traditionnels ne sont pas moins rationnels que ceux des droits occidentaux : ils répon-dent seulement à d’autres logiques enracinées dans d’autres mythes. Dès qu’on regarde, en Occident comme ailleurs, l’ensemble du phénomène juridique, discours et pratiques, l’illusion disparaît : il ne reste ni opposition entre les droits occidentaux et les autres, ni supériorité des premiers sur les seconds. Rien, dans la nature du droit, ne justifie donc une politique de transfert de droits de l’Occident vers ce qu’il appelle Tiers Monde.