L’histoire d’Haïti s’égrène au gré de dictatures plus tatillonnes les unes que les autres sur un droit qu’elles n’ont jamais respecté. Derrière une façade démocratique et l’adoption de beaux textes de lois, l’Etat applique un droit inadapté, de plus en plus éloigné de la justice, conçu au service d’une élite. La majorité de la population, complètement marginalisée et dépourvue de moyens d’organisation pour influencer l’Etat, a été forcée de développer des stratégies de survie et de se forger sa propre vision du monde avec ses valeurs et ses règles. Après avoir déployé toutes les stratégies de "marronnage" (marronner est un mot des Antilles qui signifie se livrer à des pratiques illicites), d’évitement, de ruse, d’insubor-dination par rapport à l’Etat et au droit officiel, la population a refusé d’aller plus loin dans l’indignation et la déchéance. Depuis 1986, la revendication fondamentale de justice n’a cessé de s’amplifier. Cette urgence de justice, doublée d’une revendication pour une participation politique de toutes les collectivités locales jusqu’aux coins les plus retirés, renvoie à tous les domaines de la vie (économique, social, culturel) et, en cela à un changement en profondeur de la société. Face à cette urgence et à l’envergure de ce changement, une réforme classique bien qu’indispensable, paraît limitée et très insuffisante. Il s’agit, en effet, de promouvoir une justice née de tous et pour tous et de réunir les conditions de participation permettant à la population jusqu’ici marginalisée, d’avoir accès au contrôle et à la décision de la "Chose Publique" c’est-à -dire, la "chose de tous". Pour contribuer à cette finalité, une organisation constituée d’une équipe de travail de 5 personnes, du nom de PAJ (Programme pour une Alternative de Justice) a été créée en septembre 1990, 3 mois avant les élections qui ont marqué un pas historique dans la construction de la démocratie et la réforme en profondeur de la justice en Haïti. A l’origine, le rôle de cette fondation basée à Port-au-Prince, était d’encadrer et de faciliter les inter-relations entre les groupes de base cherchant à faire aboutir leurs revendications de justice et ainsi, de promouvoir une "Alternative de Justice". Mais, le coup d’arrêt brutal, imposé par le coup d’Etat du 30 septembre 1991, a consi-dérablement perturbé les activités de l’organisation, la contraignant à s’adapter aux circonstances pour accompagner au mieux les populations victimes de la répression et a modifié sensiblement le contexte d’intervention. Néanmoins, l’organisation a réaffirmé sa volonté de maintenir sa démarche dans une perspective de changement social vers l’instauration d’une justice pour tous, passant nécessairement par la réalisation des conditions de participation de la majorité de la population. Malgré le climat lourd de terreur et de répression qui a continué à régner depuis le début de l’année 1994, PAJ a décidé de résister à la tentation d’adopter une attitude de fermeture et a, au contraire, opté pour une politique d’ouverture favorisant les échanges et les contacts entre les différents acteurs de la construction d’une alternative : les groupes de base constitués des membres des couches démunies et marginalisées de la population ; les groupes d’appui rassemblant des universitaires, chercheurs, sociologues, juristes et étudiants et, enfin, les institutions d’encadrement. Sur fond de crise, les activités de PAJ se sont ainsi traduites, pour le premier semestre 1994, par la réalisation de visites de terrain qui ont permis la reprise des contacts avec les organisations de base situées dans plusieurs régions du pays et, par la suite, d’organiser, suivant la formule des sessions éclatées, à Port-au-Prince mais aussi en province, des sessions de formation et de sensibilisation sur l’alternative de justice. Des cliniques juridiques et des conférences-débat ont pu être réalisées en lien avec deux de ces sessions de formation. PAJ a également repris la publication d’une revue mensuelle éditée en créole et diffusée dans tout le pays à 1500 exemplaires, à travers les organisations de base qui y ont une "tribune" réservée, ainsi que l’édition de cahiers de formation (en créole) dont le premier, dans la série "participation", porte sur la participation des citoyens à l’Etat. L’accompagnement et la contribution de PAJ à la lutte démocratique du peuple haïtien pour un Etat de droit passent, en définitive, par un programme d’activités qui vise à donner aux groupes de base les moyens leur permettant de définir leurs propres stratégies de participation (accès aux lieux de décision et connaissance du droit pour participer aux réformes) et de va- loriser leurs connaissances sur les pratiques informelles du droit. Ce programme contribue ainsi aux recherches relatives au droit informel (comme base à un nouveau droit positif) et à la promotion de l’usage alternatif du droit.