Dans l’article paru dans la revue "Portavoz. BoletÃn de los Programas de Servicios Legales en Latinoamérica y le Caribe" de mars 1995, l’anthropologue Elisa Cruz Rueda analyse les revendications et symboles du l’EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional - Armée Zapatiste de Libération Nationale) d’un point de vue social, économique et, surtout, juridique. Après avoir expliqué les notions d’usage alternatif du droit, de droit alternatif et de pluralisme juridique, l’auteur étudie les actions du mouvement zapatiste mexicain en démontrant leur apparenté avec les pratiques alternatives de droit. Selon l’auteur, avant d’arriver à l’avènement d’un pluralisme juridique, le développement de la société d’un Etat donné passe par plusieurs phases. La première est celle où apparaît "l’usage alternatif du droit " qui correspond à " l’exercice et à l’application du droit positif en faveur des populations défavorisées ", grâce à l’action de professionnels du droit. Comme le souligne l’auteur, cette conception suppose l’existence d’une "culture alternative dans laquelle l’organisation collective-communau-taire est au service de l’intérêt commun et constitue un espace pour le développement individuel". Ainsi, les populations les plus démunies en sont progressivement arrivées à s’organiser elles-mêmes pour faire face à leurs difficultés socio-économiques et leurs initiati-ves vont donner naissance au droit alternatif. L’auteur note que, dans la Rome antique déjà , le droit alternatif conçu comme un ensemble de pratiques légales parallèles au droit établi existait. Par ailleurs, elle observe que dans tout groupe social, " des règles, autres que celles de l’Etat, réglementent les rapports entre particuliers et entre particuliers et Etat " ; ces groupes assurant par de-là même leur protection face à un Etat puissant et ignorant des lois existant en faveur des populations défavorisées. Ce sont ces pratiques populaires qui contribuent au pluralisme juridique. Aujourd’hui, avec l’aggravation des inégalités dues au développement des marchés écono-miques, la marginalisation d’une partie de la population, la plus défavorisée, s’est accentuée au Mexique. A côté de l’ordre juridique étatique, sont alors apparues des " règles du jeu" élaborées par ces populations margi-nalisées qui se sont regroupées. L’auteur observe que ces dernières se caractérisent par le fait qu’elles " apparaissent en marge du droit, elles n’appartiennent à aucun parti politique, elles fondent leur organisation sur la base des demandes concrètes et des nécessités immédiates et elles créent une pratique collective qui remplace l’individuelle". Au Mexique, certains de ces groupes sont devenus si importants que l’Etat les considère à présent comme de véritables interlocuteurs. L’auteur fait alors un parallèle entre les pluralismes juridiques et les pluralismes ethno-culturels. En effet, les différentes ethnies et cultures justifient l’existence de différentes conceptions d’organisation et de développement. Toujours selon l’auteur, ces pratiques diverses se trouvent " en harmonie avec la nature et l’homme, et elles doivent être adoptées pour réussir une distribution équitable et effective de la richesse, la préservation de l’environnement et des restes historico-rituels ". C’est dans ce contexte que le EZLN a développé son action, et plus exactement dans l’Etat des Chiapas. Face au néolibéralisme prôné par l’Etat et à la globalisation économique croissante, symbo-lisée par le TLC (Traité de Libre Commerce), ces guérilleros formulent des demandes pour la nation entière : " justice, démocratie, dignité ". Leur discours, qu’ils propagent par les moyens de communication les plus modernes, touche tous les secteurs de la société car il se réfère à des notions et à des problèmes que la communauté entière connaît. Un véritable consensus social a surgi au Mexique. L’auteur souligne que si le EZLN n’utilise pas le "concept de droit alternatif ou l’usage d’un autre droit...", il est évident que " dans la pratique et dans leurs demandes ", les zapatistes revendiquent et appliquent ce concept. L’étude de leurs principales revendica-tions, "Mandando obedeciendo"(Ordonnant obéissant) ou " Todo para todos y nada para nosotros " (Tout pour tous et rien pour nous) révèle en effet la volonté de créer une organisation autonome et interne à chaque collectivité, qui serait ainsi régie par ses propres règles de fonctionnement. Devant l’ampleur et l’impact de l’EZLN, le Gouvernement mexicain a déjà plié sur certains points et répondu ainsi aux attentes des populations défavorisées en acceptant, par exemple, de réformer l’ordre juridique pour permettre aux populations indigènes de gérer leurs conflits selon leurs propres coutumes et traditions.