Dans un numéro spécial (novembre 1992, n°20), la revue "Comunicando" a consacré un article au développement de la démocratie en Amérique latine, article issu d’un débat réunissant le CEDAL et divers organismes tels que l’ARCI, Juristes-Solidarités, ENDA Tiers-Monde, GEYSER, le CNRS, GRET/PSH, EHESS, IEDES, IHEAL, le CFCF, SIPRO Mexico et un repésentant de la mairie de Rezé (France). Les participants ont tenté de dégager une définition de la notion de démocratie et de ses caractéristiques, ainsi que de déterminer le rôle respectif des ONG du Nord et du Sud dans leur contribution à la construction de la démo-cratie sur le continent sud-américain. Il ressort des débats que la pratique diffère considérablement du concept théorique. La notion même de démocratie revêt diverses formes. Elle peut être définie dans un sens éthymologique, comme la victoire du peuple sur l’oligarchie. Elle peut également être définie par rapport aux droits de la personne : c’est alors un ensemble de droits civils et politiques indissociables des droits sociaux et économiques. C’est pourquoi, il est indis-pensable de tenir compte des réalités de chaque société et de ne pas imposer un modèle unique et strict, importé de l’Occident. Toutefois, Bruno Lautier, de l’IEDES, souligne que, paradoxalement, la démocratie peut s’avérer sélective en pratique : elle ne concer-nait que les hommes en France jusqu’en 1945 et "en Amérique latine, elle s’accomode des disparitions, des tortures, des escadrons de la mort et de la chasse aux enfants de la rue...", ajoute-t-il. Les interlocuteurs, dont Jean Designe de Juristes-Solidarités, se sont également penchés sur la notion de démocratie directe où "chaque individu est un acteur de la vie de la cité ; c’est la démocratie des quartiers de base, par opposition à la démocratie formelle avec délégation de pouvoir comme dans les pays du Nord". Comme le remarque François Bourges, de la mairie de Rezé, alors que la "démocratie directe concerne 80% de la population de Lima (Pérou), elle n’a aucune représentation dans la sphère de la démocratie officielle". Mais inévitablement, cette démocratie de quartier a des limites : elle est sujette aux pressions politiques et est déformée par le clientélisme et la tentation d’adapter son discours, son projet, aux tendances politiques ambiantes et de faire des concessions en vue d’obtenir un financement, à tel point que les projets en deviennent dénaturés. Au niveau local, les ONG ont un rôle prépondérant dans le travail de promotion de la démocratie. Elles doivent favoriser le dialogue entre la population et l’administration, celle-ci devant représenter les intérêts des citoyens. Pour cela, il est impératif que les associations soient un intermédiaire attentif aux réels besoins des populations et qu’elles n’imposent pas leurs propres vues. Les ONG doivent également affronter les problèmes qui relèvent normalement de la gestion publique, en raison de l’inaction de l’Etat dans certains domaines (logement, alimentation, éducation,...). Cela ne les empêche pas de travailler en collaboration avec les autorités. L’exemple du Chili, où des "groupes pluridisciplinaires, dont des juristes, travaillent avec les habitants pour obtenir la reconnaissance légale des terrains occupés et bâtis", a été signalé. Ensuite, le thème de la gestion publique comme élément moteur de la démocratie a été abordé : il est important en Amérique latine de "donner un cadre et une structure publique à la démocratie de base, dès lors que l’on veut la rendre efficace". A ce propos, est cité l’exemple de Villa El Salvador, où un programme de réhabilitation du logement dans un quartier a été entrepris. Cependant, si l’expérience doit être étendue à l’échelle de la ville, "il est indispensable de s’appuyer sur des services municipaux". Enfin, il faut souligner la difficulté d’un passage réussi de la démocratie locale à celle fonctionnant au plan national. A priori, on pourrait croire que cela est positif pour la démocratie locale, mais en réalité, l’effet pervers de cette transition est que les ONG perdent la capacité d’être à l’écoute de la population. Quant aux ONG du Nord, elles doivent éviter de collaborer avec les autorités publiques des pays du Sud, afin de laisser aux ONG du Sud une marge de manoeuvre pour faire pression elles-même sur leur propre gouvernement. De même, les organisations du Nord ont un rôle à jouer auprès de leur propre Etat, en participant notamment aux débats sur la coopération.