Quand le droit fait l’école buissonnière : revisiter le droit




“ Le droit de l’Etat peut en cacher d’autres ”. S’inspirant d’un avertissement que l’on a plus souvent l’habitude de rencontrer au détour d’un quai de gare ou d’un passage à niveau, l’anthropologue du droit Etienne Le Roy a trouvé l’heureuse expression qui résume idéalement la problématique que ce livre se propose de développer. Pour ce faire, ses rédacteurs se sont bien sûr appuyés sur les travaux de chercheurs. Comme ceux d’Etienne Le Roy donc, mais aussi ceux de Michel Alliot, de Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, d\’André-Jean Arnaud ou encore de Jacques Faget, lequel a bien voulu rédiger la postface. Postface qui, à elle seule, pourrait tout aussi bien se substituer au résumé que nous commençons ici, le regard du militant, du sociologue et peut-être même celui du poète en plus… Mais avant tout, ce livre s’appuie sur les pratiques de milliers de personnes et de groupes qui, à travers le monde, ont décidé de s’affranchir des pesanteurs, des inerties qui ont contribué souvent à faire du droit un instrument de domination et de reproduction de rapports sociaux inégaux que la mondialisation n’a certes pas réussi à réformer. Revisiter le droit… L’urgence d’une telle démarche inaugure la première partie de cet ouvrage tant elle s’impose en ce début de millénaire où le droit est devenu l’un des piliers sur lesquels reposent nos sociétés. Prédominant, le droit est partout. Il envahit nos quotidiens, régit nos vies sans que nous soyons à même de nous familiariser avec lui. Et pourtant, la “ demande de droit ” est forte, nous dit-on. Alors l’Etat ouvre des permanences d’accès au droit, et les radios, les magazines, les télévisions rivalisent de rubriques qui nous “ expliquent ” le droit. Mais ce que ne font pas ces Maisons de Justice et du Droit, ce à quoi ne prétendent pas ces articles, c’est nous expliquer la “ nature bivalente ” et “ ambivalente ” du droit. Car avant d’être un corpus de règles, le droit est un “ pouvoir ” bâti sur des mythes : les mythes de son unicité, de sa généralité, de son universalité même (autant de déclinaisons de la croyance selon laquelle la règle serait la même pour tous). Dans cette conception, le droit s’est développé, générant ses professionnels (avocats, magistrats, parlementaires…) devenus seuls maîtres dans l’art de fabriquer, de comprendre et de pratiquer le droit. Ainsi accaparé par les classes aisées de la société, il est devenu un instrument de renforcement de leurs avantages alors que dans le même temps, celles et ceux qui étaient exclus de sa “ sphère d’influence ” n’en connaissaient bien souvent que les aspects discriminatoires, répressifs ou inégalitaires. Cette évolution n’était cependant pas une fatalité, le droit étant, et c’est là le cÅ“ur de sa bivalence, à même de devenir un outil de transformation sociale. De nouveaux lieux, outils et acteurs pour penser et vivre le droit autrement… Cette bivalence essentielle, ce sont des individus et des groupes qui ont su en prendre conscience et l’exploiter. C\’est ce que la deuxième partie de l’ouvrage se propose d\’illustrer. En Afrique, en Asie, en Amérique latine, en Europe, des “ éclaireurs ” ont su dépasser la mythologie juridique et ramener le droit dans les endroits qu’il n’aurait jamais dû quitter : la rue, l’exploitation agricole, le quartier, le village. Ils ont su également dépasser le “ complexe d\’ignorance ”, apprivoiser et aider leurs voisins à apprivoiser ce droit qu’ils avaient toujours considéré comme “ en dehors ” d’eux. Des services juridiques sont nés, bien différents des cabinets feutrés d’avocats, ouvrant l\’espace à une compréhension et à une gestion collective du conflit ou du problème juridique. Des outils pédagogiques ont vu le jour (émissions de radio, jeux de société, formations), mettant le droit à la portée de tous. Ces derniers ont ainsi fait irruption sur la “ scène juridique ”, en appui aux actions menées par les parajuristes. Les populations concernées s’approprient le droit… Accéder au droit tel qu’il est pensé et pratiqué dans nos sociétés s’avère une exigence fondamentale afin de réduire l’écart entre les populations, notamment les plus marginalisées, et “ l’appareil ” auquel certains peuvent accéder plus facilement que d’autres. Reste, et c’est le sens de la troisième et dernière partie du livre, que l’accès à un état donné du droit ne peut être complètement satisfaisant si l’on accepte l’idée que le droit est une matière vivante sur laquelle il est possible d’imprimer la marque de ses revendications, de ses souhaits et de ses espérances. C’est alors qu’il devient possible d’opposer à la légalité des solutions inadéquates la légitimité des demandes et de s’éloigner des tribunaux pour trouver la solution des conflits au cÅ“ur du groupe où ils sont nés. Les populations sont alors en mesure de créer du droit ou de forcer le droit existant à intégrer leurs revendications. Trois parties comme autant de mouvements pour montrer que le droit peut très bien s\’émanciper des mythes sur lesquels il s’est construit et que nous avons tous assimilé malgré nous. C’est l’ambition que s’est fixé cet ouvrage, reposant sur le travail mené depuis plus de treize ans par l’association Juristes-Solidarités pour identifier, mettre en relation et promouvoir les pratiques populaires de droit qui s’expriment dans le monde entier et qui concernent des millions de personnes. Derrière ces pratiques, des combats qui pour être bien souvent ceux de la survie doivent nous conduire à changer notre regard sur le droit qui nous entoure et qui, plus que jamais, imprime sa marque à la marche du monde. Ce que Jacques Faget sait nous dire d\’une autre et belle manière : “ Quand je vous dis qu’il y a de la poésie dans le droit, vous ne me croyez pas. Mais peut-être ne regardez-vous pas dans la bonne direction. Cessez d’être fascinés par les codes, les tribunaux et les hommes de lois et faites la justice buissonnière. Allez par les rues et par les champs ; et observez tous ceux qui luttent pour la reconnaissance des droits de l’homme, pour la défense des opprimés, pour la sauvegarde de la planète, pour le développement de la culture, la reconstruction des liens sociaux. Tous ces ouvriers du vivre ensemble font du droit et ils font aussi de la poésie, car ils croient qu’on peut changer, un peu, le monde et qu’on peut changer, un peu, les hommes ”.


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Mots-clés Légitimité - Permanence juridique - Pratique alternative du droit - Professionnel du droit -

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