Pour Jacques Faget, l’accès au droit et la médiation sont deux dynamiques qui se sont développées parallèlement, portées par des forces sociales différentes, du fait de préoccupations différentes : d’une part les professionnels de la justice désireux d’augmenter leur emprise sur le marché des consultations en ce qui concerne l’accès au droit, et d’autre part un combat social visant à remédier à la crise des mécanismes traditionnels de régulation des conflits pour ce qui est de la médiation. Pourtant une confusion est née dans les esprits, au point de ne plus les distinguer, ou à l’inverse d’occulter l’une de ces pratiques pour ne plus retenir que l’autre. Cette confusion vient d’une loi de 1998 qui lie l’accès au droit à la résolution amiable des conflits, et notamment à la médiation. Mais elle est également due au manque d’articulation entre les deux concepts au sein de cette loi ; articulation qui permettrait pourtant leur meilleure connaissance, compréhension et donc utilisation. La différence fondamentale relève de ce que “ l’accès au droit a pour but de faciliter l’accès aux tribunaux, tandis que la médiation tend à éviter d’aller devant les tribunaux”, le recours aux instances juridiques après une médiation étant la preuve flagrante de l’échec de cette dernière. Cette différence permet de voir dans ces deux pratiques deux outils différents d’appropriation et de production du droit grâce à leurs apports respectifs. L’accès au droit se traduit par une aide juridictionnelle qui permet, notamment aux plus démunis, d’accéder aux tribunaux. Mais c’est également une aide juridique qui a pour but de faciliter l’accès à la connaissance du droit en lui-même. Avec les années, on est passé d’un accès au droit à un accès à la citoyenneté qui déborde du cadre juridique pour entrer dans le champ politique. Il s’agit alors de revendiquer l’exercice des droits fondamentaux dans les zones de “ non-droit ” (casernes, prisons, hôpitaux, écoles…), d’appuyer les populations minoritaires et celles des quartiers les plus défavorisés afin que les plus pauvres s’emparent du droit pour l’utiliser comme outil de développement et parviennent à trouver une solution, judiciaire ou non, à leurs problèmes. Ce dernier apport de l’accès au droit permet de sortir le citoyen de sa logique de consommateurs du droit pour en faire un acteur de droit. C’est sur ce dernier point que la médiation rejoint l’accès au droit. Elle constitue un processus de négociation d’un conflit entre deux parties (ou “ opposants ” afin d’utiliser un vocabulaire moins formel), entre lesquels s\’interpose un “ joyeux drille ”, le médiateur. La médiation fait des opposants des acteurs de droit, qui doivent au cours de son déroulement se réapproprier le conflit, se responsabiliser face à celui-ci en admettant leur part respective de responsabilités…, mais aussi et surtout mettre tout en Å“uvre pour trouver ensemble une solution, un accord qu’ils s’engagent à respecter. Ce sont donc les parties qui, seules, font leur propre justice et déterminent les règles à suivre. Cela place le médiateur dans un rôle bien particulier. Il doit s’assurer que les deux parties consentent librement à la médiation, c\’est-à -dire sans pression et de façon éclairée, puisqu’il les aura auparavant informées de tous les tenants et aboutissants de la médiation. Il est donc impératif qu’aucune information concernant la médiation ne soit oubliée : les parties peuvent à tout moment mettre fin unilatéralement ou d’un commun accord à la médiation, elles peuvent solliciter quand elles le souhaitent l’avis d’un avocat, et même bénéficier de sa présence au cours de la médiation. De même que le médiateur ne doit en aucun cas se prendre pour un juge ou un arbitre, l’avocat doit abandonner son rôle de défenseur pour ne garder que celui de conseiller. Cette grande liberté de ton par rapport à la justice formelle impose à la médiation la confidentialité : tout ce qui aura été dit au cours de la médiation ne pourra être utilisé dans le cadre d’un procès en cas d’échec. Ce mode de résolution des conflits présente enfin les atouts supplémentaires d’être peu cher, voire gratuit, et rapide. Pourtant en France, si les apports de l’accès au droit commencent à être connus, reconnus et de plus en plus utilisés, la médiation a toujours du mal à faire sa place. La première raison tient sans doute à ce que l’esprit de la médiation n’est pas ancré dans les mentalités françaises. Les Français tiennent beaucoup à leur procès grâce auquel ils peuvent “ gagner ”. Et bien souvent, la méconnaissance de la médiation, avec ses deux parties, son tiers et parfois ses avocats, fait penser à une “ réplique ” miniature de la justice formelle, à une sous-justice dont ils ne voient pas l’utilité. La deuxième raison relève de ce que la loi elle-même n’a pas pensé l’articulation entre les deux concepts. Bien souvent, dans les centres où les deux sont pratiqués, les équipes chargées de l’accès au droit ne songent pas à envoyer les personnes pour lesquelles une médiation serait utile, devant le médiateur, alors même qu’il suffirait à ces personnes de changer de service. Cette aberration s’explique par le fait que les équipes chargées de l’accès au droit méconnaissent elles-mêmes la médiation et ne savent donc pas quand la conseiller. En outre, il arrive parfois dans certains centres qu’une même équipe soit chargée de l’accès au droit et de la médiation, créant une confusion des rôles de chacun (les uns empiétant sur le rôle des autres, d’autres s’effaçant…), ce qui ne facilite pas la compréhension de ces démarches, tant pour les équipes elles-mêmes que pour les personnes venues les solliciter. Ainsi, l’accès au droit et la médiation peuvent parfois nous donner l’impression d’un beau cafouillage ! Mais l’aspect positif est que ces deux concepts se sont considérablement développés ces dix dernières années - même s’ils restent encore trop peu connus et répandus - permettant aux citoyens de se prendre en main plutôt que de se confiner dans des rôles d’assistés. Sans doute, de meilleures garanties peuvent encore être mises en place, mais les risques imputés à l’accès au droit et à la médiation ne peuvent être totalement effacés, car aussi bien dans la justice formelle que dans la médiation, les procédures sont utilisées par des hommes, qui ne peuvent jamais faire totalement abstraction de leurs sentiments… En revanche, des améliorations considérables peuvent encore être faites concernant l’articulation entre l’accès au droit, la médiation et les autres modes alternatifs de règlements des conflits en général.