Pratiquer la désobéissance « civique » pour faire évoluer le droit

Le collectif des faucheurs volontaires d’OGM




1 Partant de l’idée que « quand tous les moyens légaux ont été épuisés, il ne reste que la désobéissance civile pour faire valoir le respect de la biodiversité, le droit des paysans à utiliser leurs semences et la liberté des citoyens à choisir leur alimentation », des citoyens français ont décidé de se regrouper en un « collectif de faucheurs volontaires » d’OGM (Organismes Génétiquement Modifiés). Pendant l’été 2004 ils ont procédé à l’arrachage de plusieurs plantations en plein champ de maïs transgénique. 2 La réaction des sociétés concernées et des autorités publiques a été très vive : défense des parcelles avec bâtons et pierres sur certains sites, forte mobilisation des forces de l’ordre, violences policières, arrestations et convocations devant les tribunaux exceptionnellement rapides. On a même vu les gardes mobiles protéger pendant trois semaines des parcelles d’OGM des multinationales. 3 L’objectif des faucheurs est de voir entériner leurs revendications en matière d’OGM par le droit, tant national qu’européen. L’action juridique et judiciaire est étroitement intégrée à l’action politique. De manière constante et à tous les niveaux, les faucheurs essayent de jouer avec les finesses de la législation afin d’utiliser au mieux le droit et les procédures judiciaires pour servir leur action. Ils adaptent leur stratégie au gré des décisions juridiques. La désobéissance « civique » 4 Quand tout a été tenté sans succès, il ne reste plus au citoyen que la désobéissance civique. Pour reprendre les termes de José Bové, c’est un « acte de résistance collective » qui suppose : - que l’action soit collective (de ce fait les condamnations pécuniaires individuelles sont assumées collectivement) ; - d’avoir épuisé tous les autres moyens ; - qu’il y ait nécessité (ici, les faucheurs estiment qu’il y a urgence absolue, car ils considèrent que laisser faire les expérimentations en plein champ aurait des conséquences irrémédiables sur l’environnement) ; - qu’il s’agisse d’un acte non-violent (attitude maintenue même en cas de « protection » violente des parcelles, comme cela s’est produit sur certains sites) ; - que l’acte soit assumé (fauchage à visage découvert, revendication des actes, déclinaison d’identité sans résistance sur les lieux des fauchages, comparution volontaire des personnes non convoquées devant les tribunaux). 5 Ces principes et valeurs sont affirmés dans la charte des faucheurs volontaires signée par chaque membre : « Quand le gouvernement encourage les intérêts privés ou les laisse s’imposer aux dépens de tous et de la terre, Quand la loi privilégie l’intérêt particulier au détriment de l’intérêt général, criminalisant ceux qui, en nombre restreint, ont osé l’enfreindre, Que reste-t-il aux citoyens responsables pour que le droit redevienne la référence de régulation entre les personnes et les biens, pour que les institutions démocratiques retrouvent leur indépendance et soient des instances de défense et de préservation du droit commun ? Il ne reste plus en conscience aux citoyens que d’affronter cet état de non-droit pour rétablir la justice au risque des amendes et des peines de prison possibles. Plus la conviction sera forte, plus le nombre de volontaires sera important, plus nous changerons le rapport de forces. Agir à visage découvert, en plein jour, c’est cela notre force et notre expression démocratique pour que ce danger soit pris en compte avant qu’il ne soit trop tard. Dans l’état de nécessité actuel où nous nous trouvons, nous n’avons plus rien à notre disposition pour que la démocratie reste une réalité. C’est l’impuissance politique et l’usage inversé de la loi qui nous font entrer en résistance pour refuser la fatalité. » Le travail en collaboration avec les élus municipaux 6 Le collectif des faucheurs et diverses organisations comme la Confédération Paysanne ont mené un travail en collaboration avec certains maires. 1500 communes ont ainsi pris des arrêtés interdisant les cultures d’OGM sur leur territoire. Ces arrêtés ont été systématiquement attaqués par les préfets devant les juridictions administratives. Au début ils étaient annulés par le juge. Mais ceci a permis de porter le débat devant les tribunaux. 7 Puis, en s’appuyant sur le pouvoir de police municipale en cas de « circonstances particulières » et en jouant avec les finesses de la loi (interdictions limitées dans le temps et dans l’espace et motivées par des circonstances particulières telles la présence d’exploitations en agriculture biologique), des maires ont obtenu la validation de leurs arrêtés devant certains tribunaux. 8 En 2005, le collectif, reprend sa campagne de sensibilisation des maires. Il diffuse un « mode d’emploi pour maires anti-OGM » proposant notamment des modèles d’arrêtés pré-rédigés pour différents motifs (restauration scolaire / risque d’allergènes, risque de transfert accidentel des gènes résistants aux antibiotiques aux bactéries parasites de l’humain, agriculture biologique, jardins familiaux, production apicole, modification de l’écosystème). La stratégie juridique dans les actions de désobéissance civique 9 Si le choix est celui de la désobéissance civique revendiquée et assumée, tout est mis en place pour en limiter au maximum les conséquences pour les faucheurs. - « N’arracher qu’un plan par personne » : lors des derniers fauchages organisés, c’est la consigne qui a été retenue pour déjouer les condamnations civiles de dédommagement des compagnies : à combien facturer le préjudice subit du fait de l’arrachage d’1 pied de maïs ? Cette stratégie fait ressortir la disproportion entre les actes et les sanctions infligées par les tribunaux. Elle marque également le caractère symbolique et non vandaliste de l’acte. - Information des risques encourus avant même l’inscription comme faucheur puis avant et après chaque fauchage : législation, condamnations antérieures, risques particuliers pour certaines professions (exemple : interdiction d’exercer pour les éducateurs en cas de condamnation pénale). Chaque risque pris ne doit l’être que de manière responsable et doit être entièrement assumé par la personne qui le prend. De plus, ceci peut être opposé aux autorités qui pourraient être tentées de voir dans ce mouvement quelques leaders ayant entraîné certains de leurs concitoyens irresponsables et en mal d’action violente… - Information et consignes concernant l’attitude à adopter en cas d’interpellation, d’arrestation ou de convocation ultérieure données avant l’action (exemple : arriver ensemble, ne pas s’isoler pendant le fauchage, droits de la personne en garde à vue, procédure d’urgence). - Défense et soutien des faucheurs interpellés, arrêtés ou condamnés : chaque faucheur remplit une fiche avec ses coordonnées en prévision d’une éventuelle arrestation. Le cas échéant, il essaye de la remettre à un autre afin que le collectif soit au courrant de son arrestation et puisse assurer sa défense. Le collectif travaille avec des avocats engagés (dont les cordonnées sont remises à chaque faucheur avant toute opération) qui suivent l’ensemble des dossiers et avec lesquels les attitudes à adopter que ce soit lors des actions sur le terrain ou devant les tribunaux sont discutées. - Prise en charge par le collectif des frais de justice, des éventuelles sanctions pécuniaires et comparution volontaire de tous les faucheurs en cas de convocation par les forces de l’ordre ou la justice. Les actions judiciaires 10 De nombreux faucheurs se sont vus convoqués devant les tribunaux correctionnels. A chaque fois, les faucheurs non convoqués ont comparu spontanément en demandant à être jugés avec les autres, au nom du principe d’égalité du procès et de co-responsabilité. 11 Dans un premier temps, plusieurs juridictions du premier degré ont accepté, laissant espérer une reconnaissance de l’action collective. Ces décisions ont été annulées par les Cours d’appel qui se sont saisies directement des affaires au fond. 12 Si la décision finale n’est pas acquise, ces procès comportent cependant l’intérêt de contraindre les tribunaux à se positionner de manière claire sur l’action collective, c’est-à-dire sur la possibilité juridique de comparaître volontairement en l’absence de poursuite expresse du ministère public. Les tribunaux sont également obligés de répondre à l’argument du caractère équitable du procès. Cela va même plus loin, car c’est la question du partage des pouvoirs entre le Parquet (dépendant du Ministère de la Justice) et les juges qui se trouve finalement mise en jeu à travers cette question : quand le juge est saisi d’une action collective, qui est compétent pour juger de la comparution des autres personnes revendiquant leur participation ? 13 De plus, ces procès ont permis de porter la question des OGM devant les tribunaux et, de ce fait, de contraindre les pouvoirs publics au débat sur les OGM qui n’a eu lieu dans aucune enceinte démocratique. Désormais, juges, hommes politiques et journalistes ont entendu parler du problème. De même, la privation d’un degré de juridiction pour les prévenus, du fait que les Cours d’appel se sont saisies directement de l’affaire au fond, constitue un moyen de droit qui permettra de porter le débat devant la Cour Européenne 14 En ce qui concerne l’opinion publique, les procès font parler de la question des OGM même si une certaine censure de fait est mise en place. Par ailleurs, ils mettent en porte à faux le Ministère de la Justice : alors qu’il avait promis des sanctions sévères, les personnes auto-dénoncées sont « relaxées involontaires ». De même, la rapidité des procédures pose ouvertement la question de l’instrumentalisation de la justice pénale (à Toulouse, les faucheurs ont comparu moins d’un mois après les faits, alors que plus de 900 dossiers étaient en attente faute de place dans les audiences). Ces procès - même en cas de rejet - démontrent l’inéquité des procédures sélectives et arbitraires.


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Mots-clés Action juridique et judiciaire - Légitimité - Mobilisation populaire - Transformation sociale -

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