Dans certains territoires situés à l’écart des voies de communication, les populations ne sont pas en mesure de recourir aux juridictions compétentes en cas de conflits. Se rendre au tribunal le plus proche requiert parfois plusieurs jours de marche, qui peuvent constituer pour certains un obstacle insurmontable. Le coût du transport, et surtout le manque à gagner qu’un tel déplacement représente, sans garantie de résultat, constituent souvent un frein suffisant pour les dissuader d’intenter une action auprès des tribunaux classiques. Il faut en outre ajouter les multiples dépenses qu’une action en justice implique dans un pays comme la République Démocratique du Congo. L’unique moyen de survie du personnel judiciaire consiste souvent à faire payer aux justiciables des prestations en principe gratuites. Le simple enregistrement d’une plainte ou le dépôt de la moindre preuve sont ainsi soumis de façon quasi-systématique au paiement d’une taxe, fixée plus ou moins arbitrairement par celui qui l’exige. Les institutions judiciaires sont donc très inégalitaires. Les personnes issues des classes sociales les plus aisées vont pouvoir facilement acheter leur procès, tandis que les plus démunies ne pourront aller défendre leur cause.
Face à cette situation, les couches les moins aisées de la population congolaise, premières victimes de cette justice « marchande », se sont peu à peu détournées des tribunaux classiques. Dans ces conditions, le recours aux systèmes de médiation animés par les chefs traditionnels a constitué et constitue toujours dans certains endroits une possibilité de résolution alternative des conflits. Toutefois, la médiation n’étant qu’une de leurs attributions, ils n’ont souvent que peu de temps à accorder à la préparation et au suivi des multiples affaires portées à leur connaissance. Peu formés en droit positif national pour la plupart, ils s’avouent en outre bien souvent dépassés par les nouvelles législations et se référent plutôt aux systèmes de valeurs propres à leurs communautés pour statuer. La prise de conscience de ce décalage entre le droit traditionnel et le droit positif et la difficile coexistence des deux systèmes a conduit peu à peu à l’affaiblissement du rôle de médiateur assumé par les chefs traditionnels.
Conscientes de ces lacunes en matière de résolution des conflits, de nombreuses communautés se sont organisées afin de créer et d’animer leurs propres structures de médiation. La méthodologie employée traduit souvent la volonté d’échapper aux dérives des deux systèmes existants. Les bénévoles appelés à jouer le rôle de médiateurs reçoivent une formation de parajuristes leur permettant d’acquérir les connaissances et les savoir-faire de base en matière juridique et judiciaire. En outre, cette formation cherche à renforcer leurs capacités d’écoute et de dialogue indispensables à un travail efficace en matière de médiation.
Dans la plupart de ces comités de médiation, les audiences sont publiques et les engagements signés par les parties en conflit sont portés à la connaissance de tous les membres de la communauté. Afin de s’assurer du respect de ces engagements, les comités de médiation disposent bien souvent d’un réseau d’antennes locales sur l’ensemble du territoire communautaire, chargés de réaliser un suivi personnalisé à l’issue de chaque médiation. Ces antennes locales sont parfois invitées à réaliser directement les médiations, notamment en cas de conflits mineurs.
Ces initiatives populaires sont en général bien perçues, tant par les chefs coutumiers que par certains parquets, avec lesquels une collaboration s’engage souvent. Les réticences manifestées à l’égard de ces structures par certains professionnels du droit, qui les perçoivent comme des formes de concurrence déloyale, ont bien vite été balayées. Les membres du comité de médiation de la communauté rurale de Birava affirment entretenir de bonnes relations avec le parquet de Bukavu, situé à une trentaine de kilomètres de là . Quand le tribunal est saisi pour une affaire minime, le parquet propose aux plaignants de s’adresser plutôt au comité de médiation, tout à fait apte à régler la situation. Réciproquement, ce dernier décide parfois d’orienter les parties en conflit vers la juridiction officielle la plus proche, en raison de la gravité des accusations qui sont portées à sa connaissance. Cette collaboration est notamment la bienvenue lorsque les parties en conflit ne disposent pas des mêmes ressources. En effet, le plus riche va généralement opter pour porter l’affaire devant la juridiction officielle correspondante ; il s’attribuera de la sorte un avantage stratégique, sachant pertinemment que son adversaire ne sera pas en mesure de répondre aux convocations du tribunal. Le moins nanti des deux, en revanche, s’adressera tout naturellement au comité de médiation. Il est alors difficile de trouver une solution qui satisfasse les deux parties. Grâce aux échanges réguliers d’informations instaurés entre le comité de médiation de Birava et le parquet de Bukavu, ce type de « stratégies judiciaires » est conduit à disparaître progressivement, au profit d’une justice plus égalitaire et redistributive.
Conçues pour pallier l’inefficacité des institutions judiciaires nationales autant que pour répondre à la nécessité de gérer les conflits naissant au sein des groupes eux-mêmes, les structures communautaires de gestion des conflits ont connu un essor important au cours des deux dernières décennies dans les différents pays d’Afrique Centrale. Ce succès s’explique en partie par la recrudescence des tensions liées aux crises ponctuelles qui ont affecté les différents pays au cours de cette période. Les populations ressentent également le besoin de participer à la résolution des problèmes qui les concernent pour parvenir à des solutions plus justes.